Bandes Dessinées

Modérateur : maître charpentier

Ema
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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 26 janv. 2020 18:15

Modigliani, Prince de la bohème – Laurent Seksik et Fabrice Le Hénanff
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Cette biographie s'intéresse aux trois dernières années de la vie du peintre, de 1917 à 1920.
Modigliani est un homme rongé. Tuberculose. Absinthe. Opium. Pauvreté. Culpabilité à ne pas pouvoir combattre tandis que d'autres artistes sont envoyés au front. Mépris pour son agent. Colère face au déni de son génie où ses délicats portraits sans pupilles sont jugés inquiétants et ses nus condamnés pour montrer des sexes de femmes avec des poils.....
Jeanne, sa compagne, son modèle, sa muse, peine à le faire tenir debout. Il fnira par accepter de s'éloigner de Paris la brumeuse pour se soigner mais l'éclatante lumière méridionale brûle les couleurs de sa palette intérieure et l'empêche de créer. Retour à Paris où il mourra peu après. Jeanne se suicide le lendemain, laissant une petite Jeanne de quelques mois aux bons soins de la mère de Modigliani.

Le dessin de Le Hénanff ne peut pas laisser indifférent, et ce n'est pas l'immonde couverture qui va plaider en sa faveur. Empruntant à des techniques multiples, il offre une atmosphère sombre qui met en valeur l'atmosphère délétère d'un Paris peu enclin à l'élévation et au beau, tandis que les gueules cassées rentrent par convois entiers. Mais la réussite du dessinateur consiste à ne pas s'oublier dans un esthétisme autosuffisant que l'on rencontre parfois et qui oublie l'aspect narratif du support destiné à raconter une histoire. Ici, les personnages sont incarnés, vivants. D'un regard, d'un geste, d'une attitude, le récit avance sans perdre en intensité, y compris lorsque quatre planches pleines énoncent comme une litanie les artistes sacrifiés au combat.
Les tons pastels permettent aux personnages de déployer leur beauté et leur médiocrité d'humains réagissant avec douceur et détermination ou désespoir et dégoût à une époque où vivre est perçue comme une incongruité, avant le grand lâcher prise des années folles.
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Dans cet album fort et sans parti-pris, les auteurs montrent un artiste dans toute sa complexité, fragile mais bravant la mort, sensible et rugueux, délicat et rustre, invivable mais indispensable. Un très beau portrait d'un artiste charbonneux et incandescent.

Ema
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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 28 janv. 2020 16:31

Les deux vies de Pénélope, Judith Vanistendael
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Judith Vanistendael aime les gens déterminés à écrire leur propre destin. Après le sombre SALTO (je remettrai plus tard la chronique faite sur SaezLive), elle choisit la lumière pour nous parler de Pénélope.

Pénélope est chirurgienne pour une organisation humanitaire. Son terrain de prédilection : les zones de guerre où la vie ne tient qu'à un fil. Entre deux missions, elle retourne à sa vie d'épouse et de mère en Europe. Comment faire la bascule entre le chaos et la tranquilité ? Comment accueillir la légèreté des autres et leurs petits soucis du quotidien quand les fantômes et les survivants hurlent dans votre tête ?
D'autant plus que la vie s'est organisée sans elle. Et plutôt bien.
Alors que peut-elle apporter à cette famille qui n'a, d'un point de vue organique, pas besoin d'elle ? Pénélope se sent un peu inutile ici. Et un peu coupable de constater cette inutilité. Et pourtant, elle aime sa fille, elle aime son mari. Mais elle aime son travail aussi. C'est son identité, il fait partie d'elle.
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Les aquarelles lumineuses et les encrages légers dégagent une atmosphère délicate, une plongée intime dans le tourbillon émotionnel de Pénélope qu'elle bataille à taire ou expliquer à ses proches.
Les découpages flous et des profondeurs de champs mettant en valeur un détail, une cicatrice, une main dans les cheveux, une façon de poser un pied sur une latte de parquet, disent combien l'intime ne peut être accueilli que par la présence ouverte, disponible et non accaparante de l'autre.
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Alors soit, on peut reprocher le caractère superfétatoire de certains personnages comme celui de la sœur, exact opposé conventionnel et finalement victime du rôle que la société attend d'elle, qui surenchérit inutilement le propos : vivre sa vie et pas celle de la société. Mais ce serait dommage de ne voir dans cette histoire qu'un porte-drapeau féministe de bon aloi. Pénélope n'a pas de certitudes si ce n'est d'agir en congruence avec elle-même, ici, user de ses compétences pour sauver des vies.
Ce livre est bien sûr un beau portrait de femme libre, mais aussi un bel hommage à toutes les mamans qui travaillent et aux papas qui sont à leur côté et qui aiment les épouses libres.

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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 31 janv. 2020 11:03

Thérapie de groupe, T1 : L'étoile qui danse, Manu Larcenet
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Jean-Eudes de Cageot-Goujon, double autofictionnel de l'auteur, est en pleine crise d'inspiration. « Plus de désir, plus d'exaltation, plus d'envie, plus de désir, plus d'espoir. Ne reste que le tourbillon terrifiant de la sécheresse intellectuelle. Un esprit vain dans un corps gras. Tous les artistes finis vous le diront... Au bout d'un moment, ça vous tape salement sur le système. Un vide abyssal [l]'emplit … (ce qui est un paradoxe.) Puis c'est l'effondrement... la chute. »

Larcenet, c'est le sombre « Rapport de Brodeck » mais aussi l'humour du « Retour à la terre ». Alors pas étonnant que l'on rit beaucoup, beaucoup, alors que, quand même, le propos est vachement sombre....

Mégalo, addict aux médicaments (« si j'aime tant les hôpitaux, c'est surtout parce que c'est là qu'on trouve les meilleurs drogues. Et le plus beau, c'est que tout est gratuit. »), abandonnant à une épouse particulièrement insensible à toute charge mentale, la totalité de la vie domestique, Larcenet, est, objectivement, un gros dépendant pas particulièrement sympathique.
Mais, drôle et noir, débordant d'amour pour sa femme et ses enfants, Larcenet se met à nu, sans pitié pour lui, sans sympathie particulière par rapport aux conséquences de sa crise existentielle sur sa femme et ses enfants.

Larcenet se moque de lui, dans tous les sens du terme. Seule la création compte, quel qu'en soit le prix. Il expose sans pudeur, sans faux-semblant, la mise à mal que nécessite la production d'une idée et sa mise en œuvre. Non artiste, n'est pas un métier de fainéant même si, comme le dit son boucher : « pas d'horaires, pas d'études, pas de clients pénibles, pas d'impôts. Aaah... la vie de bohème... Les fleurs dans les cheveux, l'amour à plusieurs... Rien foutre de ses journées... »

Aux insupportables blanc-becs prétendant avoir écrit leur meilleure chanson sous le coup d'« une inspiration », Larcenet apporte un démenti bienvenu. Non, l'idée ne surgit pas comme par magie dans le cerveau de l'artiste, cet être éthéré connecté avec les muses de la création. Il y a un travail, des recherches, des essais infructueux, des bonnes pistes irréalisables, des mauvaises qui finalement contiennent du bon, et d'autres qui sont des impasses. A ce titre, cette BD est bien plus qu'une histoire d'un auteur en panne, c'est aussi un témoignage de l'intérieur du processus créatif.

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Larcenet se met en scène et dans son chaos intérieur, il expérimente, avec maestria des découpages, des perspectives, des graphismes (les amateurs de mangakas risquent de ne pas apprécier le regard qu'il porte sur cette tentative), des effets de matière intégrés totalement à ses péripéties intérieures.

L'album s'achève sur une certaine prise en charge. On peut s'attendre à ce que le Tome 2 voit Larcenet mette un peu la pagaille dans cette thérapie. Mais qu'il trouve ou non son étoile qui danse, Larcenet a déjà réussi le pari de faire œuvre à partir de son vide intérieur. Quel talent !

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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 01 févr. 2020 18:47

Là où vont nos pères, Shaun Tan
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Curieux choix de traduction de ce titre paru en 2007. En anglais : « The Arrival », c'est-à-dire, soit « the act of arriving », le fait d'arriver, l'arrivée donc ; soit « sb or sth that arrives », quelqu'un ou quelque chose qui arrive, l'arrivant donc. Un récit du point de vue de l'arrivant qui raconte son arrivée. La traduction française a fait le choix de l'éloignement, des projections angoissantes de l'inconnu et la douleur du lien à distance.
Deux titres. Deux visions de la même histoire.
Ah, la fragilité des mots.

Aussi, Shaun Tan a choisi d'évacuer tous mots et tous repères accessibles à notre connaissance. Pourtant, que de bruits dans cette BD truffée de signes incompréhensibles et de raisonnances symboliques de partout. Effet de style ?, genre : « je vais faire une énième BD sans texte, juste pour montrer mon talent de raconteur et histoire de montrer la dimension narrative de la BD ». Oui mais non.

L'histoire est banale. Un homme quitte la pauvreté de son pays, sa femme, son enfant pour tenter sa chance ailleurs, dans cette terre promise à tant de ses semblables.
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Mais que se passe-t-il, à l'arrivée, seul parmi des milliers d'exilés en plein inconnu ? Terra incognita.
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Les indigènes parlent mais de quoi ? Font des choses, mais dans quel but ? Me donnent des trucs, mauvais ou bon présage ? Où je peux dormir ? C'est quoi ces animaux, des amis ou des dangers ? Je peux manger ce truc ? Comment je peux gagner ma vie ? Je vais rester combien de temps ici ? Et ma famille ? Et ma famille ?
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Sans repères, déraciné, l'homme s'adapte, petit à petit. Il n'a pas le choix de toute façon. Il a sans doute fait une promesse à ceux qui sont restés. Leur envoyer de l'argent et peut-être les faire venir eux aussi, lorsque le temps de l'installation sera passé.

Tan, tout en s'inspirant du mythe de l'American Dream abandonne les repères auxquels le lecteur est habitué. Si on peut faire des parallèles avec les migrations du début 19e, Ellis Island et tutti quanti, l'absence de mots intelligibles et l'environnement fantastique de cette terre d'accueil plonge le lecteur à hauteur de ses personnages, dans le chaos de l'inconnu.

L'atmosphère de clair-obscur sépia qui nimbe le commencement de destins de ces arrivants, et le gaufrier classique, tantôt rétréci en autant de timbres-poste tantôt déployé sur des doubles pages monochromatiques, malmènent, par leur régularité monomaniaque, autant qu'elle protège pour la même raison, les personnages, les obligeant à se relier les uns les autres pour survivre.
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Ce sont donc tous les exilés du monde qui sont convoqués ici, dans un récit en forme d'hommage poétique au courage et à la détermination qu'il faut pour repartir de zéro.

Une BD magnifique tant graphiquement que dans son propos, à savourer sans se presser pour que l'on referme avec de la lumière en soi.

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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 04 févr. 2020 11:47

Le silence des étoiles, Sanäa K
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Sanäa file le parfait amour avec Ismaël depuis deux ans. Elle est pleine de projets, son blog est un gros succès et elle espère se faire publier. Forte de cette foi en l'avenir, elle emmenage chez elle, et envisage un avenir à deux.
Un jour, Ismaël l'a « ghoste », il disparaît de sa vie. C'est un effondrement. Incompréhension, colère, espoir, tristesse, c'est le bazar dans sa vie. Ismaël, par la condamnation annoncée de leur avenir commun la possède bien plus aujourd'hui que jamais. En parallèle, les loyers impayés s'accumulent et la contraignent à prendre un boulot alimentaire, contrepartie à son indépendance.
Heureusement, les amis sont là. Et l'espoir chevillé au corps, Sanäa va sublimer cette rupture pour avancer.

La rupture, et après ? Thème éminemment intemporel que Sanäa K réussit à transformer en chronique générationnelle : c'est quoi être femme en 2020 ? comment conjuguer amour de l'autre et amour de soi ? Mais aussi, comment conjuguer création et commercialisation ?

Le propos est simple, sans manichéisme, sans excès, l'humour est là mais sans amertume ni cynisme, et c'est cette simpicité qui rend cette histoire si réaliste et si touchante.

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Sanäa K nimbe son histoire de couleurs éclatantes et saturées (saturation pas vraiment mise en valeur par une qualité d'impression franchement low-cost qui rend les pages nocturnes quasiment illisibles), et d'une quantité de détails que l'on aime farfouiller afin de voir ce qui, dans son mode de vie autant que dans les objets qui constituent son monde, peut bien nous relier à elle. Et pourtant, c'est une quinqua qui vous parle. Chapeau pour la performance de cette jeune artiste !!!!

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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 06 févr. 2020 11:05

Puisqu'il faut des hommes – vol 1 « Joseph » (histoire complète), Philippe Pelaez et Victor L. Pinel
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Engagé volontaire pour l'Algérie, Joseph revient dans son village. Nous sommes en 1961 et la guerre court toujours. Quand il était en Algérie, Joseph a beaucoup écrit pour dire qu'il était à l'abri dans une fonction administrative, qu'il ne fallait surtout pas s'inquiéter pour lui.
Résultat, quand il rentre, tout le monde pense que c'est un planqué, pas un héros de guerre comme les autres gars du pays qui sont revenus blessés. En plus, pendant qu'il se dorait la pilule, son frère, espoir du cyclisme, fierté paternelle, a eu un accident et ne peut plus aider leur père à la ferme. Pour couronner le tout, son amour s'est fiancée avec un autre. Sale moment pour Joseph.
Et puis un autre soldat arrive. Et la vérité éclate, pour tous, y compris pour Joseph.

Philippe Pelaez, auteur du très drôle polar « Un peu de tarte aux épinards », chroniqué sur SaezLive, aime bien surprendre ses lecteurs. Pas de pathos ici, pas de « je souffre de stress post-traumatique parce que la guerre c'est moche, alors je vais vous montrer la noirceur de mon âme ». Et pourtant. Héros paradoxal dans son rapport à la guerre que l'on vous laisse découvrir, Joseph est aussi une victime de la guerre. D'où le dossier (fort intéressant dans ses références) en fin d'album sur le difficile retour de tout soldat.

Le choix de faire appel au dessin léger et lumineux de Victor L. Pinel est la grande réussite de cet album. Victor L. Pinel est l'auteur du très doux « La maison de la plage » (que je m'étonne n'avoir pas présenté tellement il est délicat dans son propos et sa réalisation!). On retrouve toute cette délicatesse d'un trait qui donne l'impression que les personnages n'habitent pas vraiment leur propre vie, contraste d'autant plus saisissant qu'ils évoluent dans un environnement bien terre à terre.
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Ce choix de contraste du dessin tout en lumière et du drame intérieur et social qui se joue dans ce village confirme tout l'intérêt de la collection Grand Angle des éditions Bamboo qui, traînant ses économiques collections « les Profs, les Pompiers, les Rugbymen, etc. » comme des kebabs à Beaubourg, n'est, de ce fait, pas prête à renouveler l'accident qui lui a vu recevoir un prix à Angoulème. Bref. Et tant pis pour cette collection adulte juste milieu entre dessin moderne et propos subtil tout cela sans prétention.

Alors oui, on peut regretter que certains personnages tournent à la caricature, mais rien que pour le personnage de Joseph, cet album vaut d'être lu.

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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 11 févr. 2020 21:15

Sous le signe du grand chien, Anja Dahle Overbye

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Les « jours du chien », du nom de la constellation visible à ce moment là, correspond à cette période en plein été où les pays nordiques connaissent une vague de chaleur propice à l'expression de toutes les inhibitions.
Anne n'est plus tout à fait une enfant et fait ses premiers pas dans l'adolescence. Un temps de changement donc. Sa meilleure amie, Mariell a ces quelques mois en plus qui la font se sentir grande et lui font préférer la compagnie de Karianne, légèrement plus âgée aussi. Anne est prête à tout pour ne pas perdre cette relation.

Cette BD au dessin crayonné un peu lourdingue est loin d'être parfaite.
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Le scénario traîne en longueur sans que cela ne profite à une narration un peu poussive où il ne se passe pas grand chose. D'un autre côté, la vie n'est le plus souvent qu'une série de petites péripéties bien ordinaires. Mais. Elle a le grand mérite de proposer un regard aigü sur cette période où les enfants veulent jouer aux grands sans mesurer les conséquences de leurs actes, ou les mesurant mais s'en fichant un peu.... Relation fusionelle et peur d'être rejeté poussent Anne de victime en bourreau, entretenant le cercle de la mesquinerie ordinaire qui blesse autant qu'il entretient la jouissance de la cruauté. L'expressivité un peu narquoise et le détachement généré par la rigidité du dessin contribuent paradoxalement au malaise que l'on a à suivre ces petits monstres bien ordinaires et si semblables aux petites pestes qui nous ont pourris ou ont pourri nos enfants.

Une jolie découverte de la toute petite mais néanmoins talentueuse maison d'édition Ca et là qui promet un nouveau projet de cette auteure norvégienne en 2020. A suivre.

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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 28 févr. 2020 13:09

Le syndrome de Stendhal, Aurélie Herrou et Sagar
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Frédéric Delachaise, duc ruiné de 35 ans, doit travailler pour la première fois de sa vie. A l'insu de sa future richissime belle-famille avide d'un titre de noblesse, le voilà gardien au musée Pompidou. Vierge de toute formation en art moderne, il va peu à peu se laisser aspirer par cet art, se révolutionnant ainsi lui-même jusqu'au confins d'une folie douce (d'où le titre faisant référence à la perte du réel de certains individus confrontés à trop de beauté plastique) pour au final, être lui-même.

Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas choisi ce livre. Une personne bien intentionnée me l'a mise dans les mains en disant : « je suis sûr que ça te plaira ». Pourtant, fréquenter les musées d'art moderne ce n'est vraiment pas trop mon truc. Je m'y ennuie. J'aime le mouvement et je n'ai pas vraiment d'aptitude pour la contemplation d'un truc qui est plus étroit que mon champ visuel. La contemplation nécessite que je sois imprégnée dans quelque chose de plus grand, un bord de mer, une montagne, une lumière. Donc, regarder un truc posé sur le sol ou au mur avec, au mieux un titre abscons au pire un « sans titre » qui se veut interpellatif (j'invente, c'est de l'expression moderne), ben je peux pas.

Bref, Frédéric Delachaise, c'est moi. Et c'est sûrement pour cela que cette BD fonctionne aussi bien pour les néophytes tels que moi qui n'ait reconnu qu'une petite dizaine d'oeuvres parmi la bonne cinquantaine mises en scène. Frédéric Delachaise est un candide qui, condamné à traîner ses heures dans des halls plus fréquentés par les images que par les humains, en prend son parti et va petit à petit aller à la rencontre des œuvres. Pour de vrai. Il rentre dans les œuvres, échange avec elles et en tire un savoir tant livresque qu'émotionnel qui l'éloigne de la petite vie à laquelle il se destinait. Son rappot à l'art modifie également ses rapports aux autres dans un enrichissement réciproque qu'il réinjecte dans sa compréhension de l'art. Un cercle vertueux en somme.
D'autant plus vertueux que l'humour et la légèreté nimbent les aventures de ce gardien de musée pas ordinaire. Les seconds rôles y sont pour beaucoup, que ce soit la belle-famille caricaturale certes mais pas si fausse que cela, ou les collègues du musée qui sont plus que de simples agents répondant à une fonction narrative voire la direction du musée (pourtant à l'origine du projet) brocardée avec élégance.

Bref, une BD intelligente mais pas intello qui fait du bien à la tête.
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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 02 mars 2020 18:25

Le choucas – Christian Lax
(8 histoires indépendantes, les 6 premières rassemblées dans une intégrale :
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Deux autres volumes (Les tribulations du Choucas) en constituent la suite :
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Lax est cet auteur infiniment humain qui s'intéresse aux autres. Depuis « Des mots pour le dire » en 1987 consacré à son frère handicapé, sont passés sous ses crayons,entre autres, la Roumanie de Ceausescu, la guerre d'Irlande, celle d'Algérie, la fin des peuples nomades, la question de l'identité de genre, jusqu'à, tout récemment, le jeune Alou chargé de protéger une statuette dogon de la barbarie d'extrémistes religieux. C'est rarement joyeux-joyeux mais toujours délicat, subtil, bref, aimant.
Mais des fois, il aime lâcher du lest et se plonger dans le roman noir, mais celui qui fait marrer, celui à la Audiard pour les répliques, à la Burma pour l'ambiance, où une sorte de Poulpe évoluerait dans un monde à la Férey. Et ça fait du bien.

Le Choucas -nous n'aurons jamais son nom- est un ouvrier qui se retrouve à la casse à 50 ans. Se rêvant héros de la série Noire de Gallimard dont il est gros lecteur, il se lance dans la carrière de détective privé. Sans réseau d'informateurs, sans flingue, sans permis de port d'arme ni de conduire, sans condition physique et sans beaucoup de talent, ses chances de succès sont maigres. Peu importe. Porté par les rencontres que le hasard place sur son chemin, il mène sa barque tranquillement, laisse les autres aller à la faute ou au combat et finalement, c'est cette forme de détachement qui sera la clé de la plus-ou-moins réussite des missions que lui confient ses clients.

De Paris aux confins de l'Amazone, Lax immerge son héros submergé dans la médiocrité du quotidien. Ses personnages sont rarement animés d'intention très honnêtes, sont des gagne-petit qui truandent gentiment les institutions ou sont de vrais salauds considérant les humains, leurs cerveaux ou leur corps, comme des ressources à exploiter. Les histoires sont parfois un peu anecdotiques mais l'atmosphère posée par le dessin de Lax suffit à se plonger avec délectation dans ce Paris truffé de références littéraires ou accompagner le Choucas dans les recoins du globe au milieu de conflits d'intérêts personnels ou politiques où tout s'achète et tout se vend.
D'accord, on peut regretter certains personnages un peu taillés à la serpe, que ce soit dans leur vilainie ou leur bonhommie. Mais justement, le dessin délicieusement irrégulier dont l'encre de Chine semble lacérer des aplats de couleur, maculés de projection d'encre un peu cracra, fait naître des trognes toute dédiées à cet univers un peu minable saturé de détails qui le rendent diablement accessible.
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Re: Bandes Dessinées

Message par Ema » 07 mars 2020 19:28

Une erreur de parcours, Denis Robert et Franck Biancarelli
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Encore du roman noir.
L'histoire :
Sylvestre Ruppert-Levansky est président à la cour d'assises de Metz. C'est un homme qui a la réputation d'être « indulgent, précis et compréhensif ». Peut-être parce qu'il « essaie de se mettre dans la peau de ceux qu'il juge ». Il va juger sa dernière affaire avant la retraite. C'est le moment que choisi un policier à la retraite pour le questionner sur une affaire vieille de trente ans, dorénavant prescrite, dans laquelle le jeune juge avait été mêlé. La voici, racontée par ses soins.

Pourquoi c'est bien ?
Denis Robert, journaliste auquel on doit, entre autres, d'avoir dégoupillé l'affaire Clearstream, aime les récits tordus, les complots d'alcove ou d'hémicycle et les personnages ni tout à fait purs ni tout à fait monstrueux. Cette histoire est un condensé de son savoir faire d'écivain.
On a au départ une affaire somme toute assez banale : une femme de cinquante ans, déjà condamnée dans sa jeunesse, est suspectée d'avoir tué son, voire ses compagnons. Mais, au contact de cette experte en manipulation la vie sentimentale du jeune juge, déjà bien compliquée, va partir en cacahouète. Il faut dire que sa compagne, la jolie Rachel n'en peut plus de son bonnet de nuit de juge. Elle a de plus en plus « l'impression de vivre avec un vieux, un flic. ». Elle lui dit qu'elle « s'emmerde », qu'il « a changé, qu'il a pris 20 ans en quelques mois. Elle a 24 ans et elle « a envie de bouger, de faire la fête » et « qu'en plus il la baise mal ». Bref, ça ne va pas durer.
C'est dans le croisement de ces deux affaires pas si éloignées par les mécanismes qui les articulent que se trouve l'intérêt principal de cette histoire. Et du fait que cela concerne un homme assez banal si ce n'est son « immense expérience et sa grande compréhension des mécanismes humains et mentaux qui prévalent à l'exécution d'un meurtre. »

Qu'est-ce qui fait qu'un individu lambda franchit la ligne rouge et commet un meutre ? Quel enchaînement de situations et de rencontres aboutit à l'irréparable ?
Ce récit réussit là où le «QUINTETT » de FRANK GIROUD, pêchait peut-être par excès d'ambition à vouloir multiplier les points de vue dans un cadre historique, certes passionnant et instructif, mais ajoutant aux efforts à fournir par nos petits cerveaux de lecteurs à le suivre dans ce labyrinthe grec.
Bref. Ici, on est en terrain connu et cela permet aux personnages de déployer toute leur ambiguité, subtilement mise en image dans un dessin beaucoup plus classieux...
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...que ce qui est donné à voir en couverture, fait d'épures sobres aux tons légers qui plongent les personnages dans un état d'apesanteur, fétus de paille emportés par les tourbillons qu'ils créent en se heurtant les uns aux autres.
Un vrai roman noir donc.

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