Monsieur Désire ? Hubert et Virginie Augustin
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Troisième opus sensuel pour le scénariste de Miss Pas Touche (ce polar, coquin-mutin-charmant se déroulant dans une maison close) et de Beauté (conte de fée malicieux où la pas très maligne et moche Morue est victime d'un charme qui la rend désirable par tous les hommes), tous les deux avec Kérascoët au dessin.
Cette fois (en 2016), c'est Virginie Augustin qui s'y colle et c'est très très réussi.
L'histoire :
Edouard est un jeune noble de l'Angleterre victorienne dont l'occupation principale consiste à détrousser à tout va. Prostitué, noble, violenté, docile, jeune, vieux, tout con est bon à prendre. Celui des garçons aussi lorsqu'il n'y a rien d'autre à se mettre sous la dent.
Un soir qu'il rentre particulièrement abîmé d'une bacchanale, c'est la toute nouvelle et particulièrement moche bonne Lisbeth qui prend soin de lui. Le lendemain, touché par la pureté de son regard qui a « l'infinie compassion du Christ pour la femme adultère », un peu destabilisé aussi, il décide la prendre pour confidente dans l'espoir de « la voir une fois, une seule, grimacer de dégoût ou se troubler. » « Mais c'est un lac aux eaux lisses dont [il] n'arrive pas à faire remonter la vague. Il y a forcément de la vase au fond. Nul ne peut être aussi pur. »
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Cette nouvelle fonction ne dispense pas la pauvre Lisbeth de sa charge de bonne et lui vaut mépris et méfiance des nobles et la haine des chiens de garde de la noblesse, ce petit peuple de parvenus qui a tout à perdre à ce que le peuple renverse l'ordre établi.
Deux individus de caste et de genre différents qui cohabitent, cela n'a rien d'original et débouche au mieux sur Jane Eyre, au pire sur son immonde adaptation en BD commise par Aline McKenna (Le diable s'habille en Prada) ayant dévoyé le talentueux dessinateur Ramon K Pérez dans une mièvrerie cucul la praline, sorte de Cinquante nuances de Grey, les scènes de c. en moins. Charlotte Brontë, écrivaine à minettes fantasmant sur Bruce Wayne, ouille, ça fait mal à ma conscience de femme. Economisez les 18€ de la BD et foncez sur le roman en poche pour 2€. Ne me remerciez pas.
Bref. Nous avons donc là un tableau très classique mais non, ça ne finit pas par un mariage où l'amour pour la beauté intérieure triomphe de l'adversité sociale. Et pourtant, malgré tout ou plutôt grâce à cela, ça finit bien.
Parce que cette rencontre est plus que celle de deux oppositions sociales. Il aurait été tellement simple d'opposer le profiteur et la victime, le dominant et la soumise. Sauf que nous avons là deux personnalités contraintes par la société. Pauvre gosse de riche ? Non, bien sûr, sa détresse évolue tout de même dans une demeure où on se plie en quatre pour le servir comme un coq en pâte.
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Mais Edouard a d'autres aspirations. Lesquelles ? Il ne sait pas trop ce qu'il désire en fait. Il a tâté de la poésie, mais sans grand talent. En dehors de ça, il prend conscience qu'il n'a d'autre fonction que reproduire la lignée paternelle, ce qui pour lui n'a pas le moindre sens, ni la moindre importance. Finalement, il ne s'y retrouve pas plus dans ce système patriarcal que sa mère avec laquelle il va se rapprocher après l'avoir méprisée comme on lui a appris qu'il devait le faire.
Quant à Lisbeth, son destin semble également tout tracé du fait de sa naissance en tant que femme et pauvre.
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Pourtant, elle accueille cette rencontre avec la prudence qui sied aux pauvres devant la toute puissance du riche.
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Et c'est cette prudence de tempérament qui va lui permette de prendre son envol et devenir une femme libre.
Cette BD touche sans artifice. La finesse du trait de Virginie y est pour beaucoup et révèle la fragilité des des personnages tandis que les lacérations encrées les plongent dans une atmosphère étouffante.
Un dossier sur l'ère victorienne vient compléter de façon didactique cette plongée dans l'étouffoir des conventions érigées en système. Loin d'être un gadget éditorial, il permet de recontextualiser l'histoire de Edouard et Lisbeth et d'appréhender leur lutte intérieure.
Un joli album à réserver à un public pas pudibond car certaines certaines érotiques sont suggérées avec la même complaisance qu'Edouard éprouve à les narrer à Lisbeth.