Le tome 2 vient de paraître. Il s'ouvre sur une citation de Nietzsche : « C'est un préjugé que je sois un homme. Mais j'ai déjà souvent vécu parmi les hommes et je connais tout ce que les hommes peuvent éprouver, du plus bas au plus haut. » Le ton est donné.
Les voyages imaginaires sont plus présents dans ce volume, sans doute car l'enfermement se prolonge. Le détenu a appris à se dispenser de la contrainte de son enveloppe charnelle pour partir loin dans le temps et l'espace, retrouver ce qui le relie, encore un peu, au genre humain.
Puis la tentative de sortie. Et le constat que l'homme qu'il fût n'est plus qu'« une ombre fluette sans autonomie ». La condamnation à mort et l'organisation méthodique et absurde de la peine. « Mais ils ne me prendront rien, je suis la vie, j'ai vécu dix mille générations. Je suis l'étincelle allumée qui brille sans cesse et défie le temps. »
Un hymne à la nécessité du rêve, à la beauté des mots, et un récit essentiel pour ne pas renoncer.
Pour mémoire : post sur le Tome 1 paru il y a un an:
Ema a écrit : ↑23 déc. 2019 20:02Le vagabond des étoiles, première partie, Riff Reb's, librement adapté de Jack London
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« Cher et heureux contribuable, n'imagine pas que ton argent sert à éduquer, soigner, réinsérer, ni même à donner un minimum de décence à la vie carcérale. Voilà comment est utilisée ta cotisation sociale. »
BD, littérature, prison. Drôle de trinité à la veille de Noël. Une signature en ce qui me concerne;)
On la doit à Riff Reb's (Le loup des mers) qui met à nouveau en scène un roman de Jack London.
L'histoire :
Darell Standing emporté par l'une de ses « colères rouges », tue un homme. Prison. Logique. Condamné à vie. Chacun voit. L'univers carcéral bute contre lui qui ne plie pas. Jusqu'à l'absurde. Logique finalement, lorsqu'on évolue dans un environnement sans le moindre sens (ni la moindre importance....). Piégé par un codét, il se retrouve au trou. Jusqu'à la fin de sa peine. Emmuré vivant donc.
Puisque la question du pourquoi tenir ne se pose pas à lui, il cherche comment tenir.
L'imaginaire, les voyages intérieurs l'exfiltrent de son caveau, jouant avec «les portes de la psychose, portes qui [sont] difficiles à refermer. ». Il vagabonde dans l'espace-temps selon une continuité que le lecteur est libre d'établir ou non selon qu'il considère ces rêves comme une constellation ou des objets célestes isolés, un peu comme l'humanité finalement.
Comme souvent chez Jack London (qui a connu la prison), le propos humaniste n'est pas loin. Ici, l'enfer carcéral est d'autant mieux rendu que son héros n'est pas fondamentalement sympathique. Ce n'est pas une victime, il a tué, et pourtant il en devient une par la grâce de la prison.
La puissance du trait d'un Riff Reb's qui a le chic pour poser ses tripes sur la table de dessin et la bichromie ponctuellement interrompue par une case rouge colère ou une planche aux tons passés, surranés, donnent une modernité à un récit universel.[/url]
L'encrage profond, maîtrisé, rend chaque personnage, jusqu'à la plus infime silhouette, partie prenante de l'histoire. Des destins qui se croisent, se heurtent, faisant de Darell Standing le dépositaire de ces « dix mille générations » qui continuent à construire son destin.
Pas de temps mort dans la narration, y compris lors des voyages oniriques, ce qui est tout de même une sacrée prouesse vue l'immobilisation contrainte du personnage. Pas de déprime non plus à l'horizon lorsque l'on ferme le livre, ce qui est là aussi, une belle prouesse pour un livre sur la prison en une veille de Noël.